[GRIF'Auteurs] Le chat par Paul Léautaud
Ce soir, j’ai sélectionné pour vous un texte écrit par un auteur-critique littéraire très connu pour sa compassion pour les bêtes qui chez lui ont tous les droits. Ses descriptions des animaux, des souffrances endurées, de l’abandon cruel de compagnons fidèles sont reconnues comme les pages les plus émouvantes de son "Journal Littéraire". Beaucoup de protecteurs et protectrices s’y reconnaitront. Ce morceau choisi demeure malheureusement, à près d’un siècle de distance et en cette période estivale, de la plus désolante actualité. Voici donc un extrait de "Le Chat" par Paul Léautaud:
Ici, en plein travail d' écriture, avec à ses pieds Bonbon
« Mon Dieu ! J'ai déjà pas mal écrit sur les chats. Je puis écrire encore. J'en ai eu tant autour de moi. A aujourd'hui, pas loin de trois cents, je crois bien. Chacun avec sa physionomie, ses manières, son caractère particuliers. Tout comme nous autres humains, je l'ai dit souvent.
Le mieux, c'est que je n'en ai choisi aucun, puisque tous me sont venus des hasards de la rue, malheureuses bêtes perdues ou abandonnées par des maîtres sans conscience, de ces gens qui prennent un jour un animal, chien ou chat, par fantaisie, et celle-ci passée, le mettent tranquillement à la rue, exposé à tous les risques comme à tous les besoins.
Paul Léautaud habite rue de Condé en 1900
Les chats que j'ai recueillis et qui vivent avec moi n'ont pas ma préférence. Sans doute, je leur suis attaché de les connaître et de jouir de leurs gentillesses, Mais ceux que je ne puis prendre, la place et mes moyens ayant leurs limites, et que je nourris au dehors, je sais bien qu'ils ont les mêmes qualités de grâce, d'attachement et qu'ils seraient, tout comme ceux qui étaient comme eux abandonnés et que j'ai recueillis, des compagnons aussi charmants s'ils étaient chez moi.
La chambre de P. léautaud. Une puissante odeur de vieux livres, de papiers poussiéreux, de chat, d'eau de javel, de marc de café et de tricot mité y régnait...
J'envoie au diable Descartes qui a dit que les animaux ne sont que des machines - il en disait autant, je crois bien, des humains. Au diable aussi Buffon qui a dit que les chats sont traitres et hypocrites. Au diable encore l'opinion accréditée que le chat n'aime que sa maison et bien moins son maître. Moi qui écris ces lignes et qui, après tout, dut-on me trouver bien présomptueux, ne suis pas plus sot qu'eux, je sais mieux qu'eux à quoi m'en tenir. La raison - pour connaître et juger - n'est pas tout. Un petit peu de cœur ne fait pas mal non plus.
Je viens de dire que je nourris des chats abandonnés au dehors. C'est surtout au Luxembourg - qui est tout près du « Mercure » et d'où viennent, en grande partie, mes compagnons félins. Si j'ai eu bien des chagrins à chaque nouvel abandon que je constatais, quels plaisirs j'ai eus aussi à chaque sauvetage que j'ai fait. Mon cher Coco, par exemple. Quels cris il poussait, le jour que je l'ai pris, dans le panier dans lequel je l'emportais ! Dans le petit appartement de la rue Dauphine où je le fis vivre quelques semaines avant de le transférer chez moi, quelle peur il avait, caché obstinément sous un buffet sous lequel je lui glissais pâtée, lait et gâteries ! Si vous le voyiez aujourd'hui, couché avec moi, sur le côté comme une personne, son nez tout près du mien, une de ses pattes allongée sur mon cou. Dire que des gredins ont mis dehors un animal si charmant, un être si affectueux, dont tout n'est que gentillesse et douceur ! Tristes imbéciles, cruels et malfaisants. Et ce que je viens de dire de Coco, je pourrais le dire tout aussi justement de Blanchou, de Félix, de Grison comme de Sophie ou de la Noirochon, celle-ci que, chaque matin, avant mon départ, il faut absolument que je prenne quelques minutes dans mes bras. De tous, enfin ! Quand je dis : de tous, je pense à ceux qui sont là, à ceux aussi qui y ont été et qui n'y sont plus, et qui m'ont payé au centuple, par leur compagnie délicieuse, le refuge que je leur ai donné. » Paul Léautaud
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