[GRIF'Ecoute] Gueule cassée, gueule féline. Moi, Ciboulot.
Après Géraud etJones, après Béatrice et Mirabelle, ce sont Anne et Ciboulot qui nous proposent ce soir leur histoire. Un grand merci à Béatrice qui me les a présentés par le biais de son blog. (1) Mais laissons la parole à ces deux là, et quelle parole!
Opération « oreille cassée »
Quoi, ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?
Quelque chose qui n’va pas ? Elle ne te revient pas ?
Oh, je sais que tu n’as rien dit,
C’est ton œil que je prends au mot
Souvent un seul regard suffit
Pour vous planter mieux qu’un couteau… (2)
Allez, avouez-le, ça crève vraiment les yeux,
Vous vous posez des questions, moi j’vous propose un jeu :
Devinez pourquoi ma drôle de bouille ressemble à une cata,
Réfléchissez, cochez le bon choix : la réponse est là !
Après quelque réflexion, j’ai décidé de vous raconter mon histoire
Prêtez-moi l’oreille pour éviter à votre chien ou votre chat de connaître un jour mes déboires…
Alors, avez-vous trouvé ce qui m’est arrivé ?
Mon chirurgien esthétique a-t-il raté son coup en tentant de corriger mes oreilles en feuilles de chou ?
Ma maman a-t-elle mis au monde une fort étrange merveille : un chat dépourvu d’oreilles ?
Mon vétérinaire a réduit mes oreilles en taille mini : était-ce le prix à payer pour prolonger ma vie ?
Ou peut-être suis-je un matou infernal qui s’est fait tirer les oreilles après une bêtise fatale ?
Pour résoudre ce mystère, remontons quelques mois en arrière l’année dernière…
Début août 2013. Déménagement ? Départ en vacances ? Lâcheté, distraction ou indifférence ? Ce matin-là, j’aurais dû avoir la puce à l’oreille mais je n’ai rien vu venir… Mes maîtres ne m’ont plus trouvé… à moins qu’ils aient décidé de ne plus me rechercher. Malgré moi, en quelques heures sombres, je me suis retrouvé condamné à l’errance. Mais je ne veux pas encore y croire et je fais la sourde oreille : c’est sûr, je leur manque, ils essaient déjà de me retrouver ! Pourtant, je dois me rendre à l’évidence : la solitude et la peur seront bientôt mes compagnes quotidiennes. Ici commencent de longs mois de galère et de souffrance…
Août 2013 → décembre 2013. Peu à peu, je l’apprends à mes dépens : la liberté peut ressembler à une terrible prison dont il est difficile de s’évader. Désormais, je ne dors plus que d’une oreille. Improbable S.D.F., j’erre nuit et jour en solitaire à travers Evere, contraint de mener l’existence clandestine d’un demandeur d’asile. Toléré par les uns, refoulé par les autres, pris en flagrant délit de vagabondage, je vis –ou plutôt je survis- de maigres rapines. Et surtout, les images de tendresse s’effacent doucement de ma mémoire. Maintenant, je le sais, tandis que le froid et le silence me déchirent les oreilles, cette année, pour moi il n’y aura pas de magie de Noël…
Janvier 2014 → 12 février 2014. L’existence périlleuse d’un fugitif ne me vaut rien. Désespéré, affaibli, épuisé, moi qui n’ai pas l’âme d’un globe-trotter ou d’un aventurier, j’établis mes quartiers avenue de la Quiétude. Sacré nom d’un chien, qui a choisi ce nom ? Pour moi, elle demeurera toujours avenue de l’Inquiétude. Maintenant, j’en suis certain, depuis quelques jours, une dame observe mes va-et-vient. Compatissante, c’est elle qui assure mon ravitaillement pour adoucir les turbulences de mon quotidien. Je dresse l’oreille. J’entends des voix, des cris, des jeux. Oui, je me souviens : dans ma vie d’avant, il y avait plein de rires d’enfants. Timidement, à l’abri des regards je m’approche et je les épie. C’est une école. Elle sent l’insouciance, l’innocence. La joie de vivre. Enfin, je me rapproche des humains.
13 février 2014 → mars 2014. Je me suis laissé prendre au piège comme un débutant. J’avais faim. Tellement faim. Ventre affamé n’a point d’oreilles : une patte à peine posée dans ce couloir où m’attendait, insolente, cette pâtée si appétissante, et me voilà enfermé dans une boîte grillagée ! Ma bienfaitrice tente bien de me rassurer en m’affirmant qu’elle m’emmène là où je serai soigné et réconforté, moi je ne l’entends pas de cette oreille. Je me sens trahi. Avez-vous déjà essayé de fêter la Saint-Valentin derrière les barreaux d’une cage ? Déprimé, terrorisé face à ces nouveaux visages étrangers, je me laisse manipuler sans réagir par un vétérinaire patient. Mais les murs ont des oreilles et chat échaudé craint l’eau froide, dit-on : je reste méfiant vis-à-vis des caresses –pourtant bienveillantes- des animaliers et des bénévoles. A quoi bon encore résister puisque ma vie a basculé du mauvais côté… Est-ce pour se rebeller contre tant de coups durs que mes oreilles se bordent soudain d’égratignures ?
5 mars 2014 → 7 mars 2014. Déclaré « bon pour le service », je quitte la quarantaine pour la chatterie. Tout yeux tout oreilles, j’entre dans un monde inconnu peuplé de dizaines de minets abandonnés ou perdus. Ici, je l’ai tout de suite compris, mieux vaut montrer patte blanche et ne pas se mêler aux bagarres. L’oreille aux aguets, je me fonds discrètement parmi la foule féline dans l’espoir secret d’attirer une marque d’affection. Et je guette sa visite… Chaque après-midi à la même heure, elle revient me cajoler, me dorloter sur ses genoux, me susurrer quelques mots d’amour aux creux de l’oreille. C’est trop beau pour être vrai : ai-je encore le droit de me nourrir d’illusions ?
8 mars 2014 → début juin 2014. Je n’en crois pas mes oreilles : elle m’emmène chez elle ! Graffiti et Pirate – le comité d’accueil – ne sont pas vraiment enchantés de mon arrivée, mais j’en ai vu d’autres ! Désormais, je m’appelle Ciboulot. Sage, paisible et sociable, moi je le sais, je ne suis pas du genre à semer la pagaille et bien vite, je gagnerai leur confiance. Je réapprends doucement le sens du mot « famille ». Seule ombre persistante au tableau : ces vilaines lésions sous formes d’écorchures purulentes et sanguinolentes qui continuent inexorablement à s’étendre sur mes oreilles…
Diagnostic de la « Faculté » : vascularite. Traitement : cure intensive de cortisone et d’antibiotiques… mais hélas, malgré cette thérapie de choc, toujours aucun signe d’amélioration ou de guérison à l’horizon ! Dubitatif, le vétérinaire n’a plus d’autre choix que de me proposer cette ultime solution : l’opération. Impitoyable, ce verdict n’est évidemment pas tombé dans l’oreille d’un sourd…
Juin 2014 → début 2015. Quelques semaines de convalescence et des dizaines de points de suture plus tard, plus question de « tendre l’oreille » depuis que mes deux feuilles de chou ont été réduites à leur plus simple expression. La vascularite ? Quelle vascularite ? Aujourd’hui, je ne veux plus repenser à ces mois d’enfer. Pirate et moi sommes devenus d’inséparables amis et, si je puis me permettre ce trait d’humour, je peux enfin «oreilles ».
Ciboulot
(texte : Anne DUMORTIER)
(1) http://kimcat1b58.eklablog.com/
(2) Extrait de la chanson "Ma gueule" interprétée par Jonnhy Halliday (paroles et musique: Gilles Thibaut et Philippe bretonnière-Mercury 1988)
Soutenez notre Réseau Grifélins!
Soutenez notre blog en vous abonnant et commentant!
Soutenez notre page face book en likant, commentant et partageant.
Aidez-nous à les aider.
La solution vient aussi et surtout de vous.
N’hésitez pas à contacter l’auteur.